Les ensembles d’Adjara

Les ensembles d’Adjara

Donc, la Turquie c’est gentil un moment mais c’est pas en continuant à mâcher des baklavas que je vais arriver en Chine. Direction la Géorgie, ce pays dont je ne connais absolument rien, si ce n’est qu’il paraitrait qu’on y trouve des accordéons et qu’on y boit du bon vin.

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Un quidam en promenade

Allez savoir pourquoi, les géorgiens ont décidé de pondre à quelques kilomètres de la frontière avec la Turquie une ville totalement improbable sortie tout droit de Star Trek : Batumi. Un sacré tour de passe-passe, comme pour faire un pied de nez au touriste innocent tout juste débarqué qui s’attendrait à trouver en Géorgie des vieilles fermes branlantes et des paysans à dos de chèvre. Eh bien non, car à Batumi on ne l’entend pas de cette oreille : ici, on déambule en vaisseau spatial sur coussin gonflable entre des gratte-ciel en carton-pâte et des fontaines multicolores. Les touristes russes qui viennent l’été se griller la couenne en masse sur les transats en plastique du bord de mer doivent certainement y être pour quelque chose dans cette mascarade. Cependant, je n’ai pas cherché à en savoir plus, laissant aux habiles géorgiens le fin mot de l’histoire.

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Batumi, cependant, est la capitale d’un magnifique écrin de verdure niché entre la Mer Noire et le Petit Caucase : l’Adjara, région autonome du sud-ouest de la Géorgie. Son climat tropical (aussi improbable que les gratte-ciels en carton de Batumi) lui prodigue une végétation incroyablement luxuriante, dans laquelle se disséminent de nombreux petits villages aux riches traditions vocales  et instrumentales. De nombreux ensembles vocaux traditionnels essaiment ainsi aux quatre coins de la région, assurant la longévité des traditions musicales d’Adjara.

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Le panduri

Bien que cette région frontalière avec la Turquie ait été sous influence musulmane pendant une paire de siècles, les ensembles vocaux ont conservé leur principale caractéristique, typique de la musique chrétienne : la polyphonie. Exit donc les promenades sur le maqam des pays orientaux; ici les belles et puissantes voix des chanteurs s’organisent et s’étagent sur deux, trois voire quatre niveaux. Accompagnées du panduri, instrument à corde traditionnel, ou tout simplement a cappella (comme dans les trois vidéos ci-dessous), ces polyphonies font rentrer la Terre entière en résonance.

M’apprêtant à vagabonder dans la jungle à la recherche des ensembles d’Adjara, la vieille et coriace tenancière de mon auberge de jeunesse à Batumi me coupe l’herbe sous le pied en me fournissant l’information capitale : les principaux ensembles de la région chantent ce jour au Palais de la Culture de Batumi à l’occasion d’une présentation officielle par le ministère de l’Education, de la Culture et des Sports d’Adjara. Ni une ni deux, je m’incruste.

Les deux premières vidéos présentent l’ensemble d’Atdzali, choeur mixe formé en 2004 qui comporte (habituellement) 5 hommes et 7 femmes. L’ensemble d’Atdzali chante le répertoire traditionnel d’Adjara et du peuple Laze.

La dernière vidéo présente l’ensemble de Shuakhevi, créé en 1967. Plus important, le choeur s’éloigne du chant traditionnel pour verser un peu plus dans la chorale qui rigole pas. Mais c’est beau!

D’autres ensembles étaient présents, comme l’ensemble Elesa ou l’ensemble Kobuleti, ce dernier étourdissant par son incroyable diversité polyphonique, étagé sur 4 parties allant de la garnison de fortes bedaines aux puissants sons de basse à la poignée de papis frêles et tremblotants produisant d’étranges tralalaïtous suisses suraigus.

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J’ai même déniché DSK

Bref, trouvant ces ensembles géniaux, j’ai essayé à l’apéro qui s’est ensuivi de leur parler de l’Accordéonistan et de mes histoires d’enregistrements. Il me semblait alors qu’avec mes deux potes du moment, une géorgienne et une azerbaïdjanaise que j’avais rencontrées à l’auberge, le message aurait du pouvoir passer. La première, parlant géorgien mais comprenant un quart de ce que je lui dis en anglais, traduit à peu près n’importe quoi aux deux vieux qui nous écoutent qui croient alors que je cherche un micro pour leur interpréter une chanson. La deuxième, comprenant et parlant parfaitement le français, traduit mes propos en russe aux deux vieux qui la comprennent mais décident de l’ignorer (les russes occupent plusieurs territoires de la Géorgie et n’ont plus trop la côte aujourd’hui). Devant une telle incompatibilité linguistique, pas d’autre choix que de capituler. Et de se prendre en photo parce qu’on comprend rien à ce qu’on dit mais on est quand même copains comme cochon.

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